Categories
All Countries Mexico

2019 RLLR 6

Citation: 2019 RLLR 6
Tribunal: Refugee Protection Division
Date of Decision: May 7, 2019
Panel: Marcelle Bourassa
Country: Mexico
RPD Number: MB8-15797
ATIP Number: A-2020-01124
ATIP Pages: 000046-000052


INTRODUCTION

[1]       La demandeure d’asile Madame [XXX], une citoyenne du Mexique, demande l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[2]       Le Tribunal a nommé la demanderesse comme personne vulnérable après avoir examiné une requête en ce sens ainsi que des rapports psychologiques et psychosociaux concernant la demandeure.

[3]       Le Tribunal a accepté comme accommodement que l’on inverse l’ordre des interrogatoires et qu’il soit fourni une interprète de sexe féminin. Le Tribunal a également accepté la présence d’observatrices à titre de soutien psychologique à la demanderesse.

[4]       Tout au long de l’audience et en rendant sa décision, le Tribunal a tenu compte des Directives du Président relatives aux demandeures d’asile qui craignent la persécution en raison de leur sexe.

ALLÉGATIONS

[5]       La demanderesse est allée vivre à [XXX] en [XXX] 2011. Elle gagnait sa vie en travaillant dans différents clubs et discothèques comme serveuse, elle vendait des shooters d’alcool. Elle travaillait toujours dans le même domaine à l’époque où des cartels de drogues tentaient de saisir le contrôle de la vente de drogues et de services sexuels sur ce territoire. Les médias rapportaient des assassinats et des enlèvements de personnes qui tentaient de s’opposer aux projets de ces cartels.

[6]       Madame, quant à elle, travaillait pour un club dont les propriétaires étaient des Chrétiens qui offraient des spectacles de qualité. Ce genre de club était vraisemblablement plus difficile à pénétrer pour ces cartels de vente de drogues.

[7]       La demanderesse a connu un photographe qui a été approché par un cartel pour vendre la drogue et des services de prostitution à la clientèle de ce club. Lorsque celui-ci a refusé de coopérer, il a été enlevé, aucune rançon n’a été demandée, il a été torturé et ensuite relâché.

[8]       Madame a décidé de cesser de travailler dans ce milieu. Elle s’est retrouvée sans emploi pendant quelques mois. Elle a par la suite joint une équipe qui vendait des billets pour ces spectacles, de jour, auprès d’une clientèle qui restait dans un hôtel de luxe.

[9]       Le [XXX] 2017, elle a été abordée à la fin de la journée sur la plage par des gens qui lui ont demandé de coopérer pour vendre de la drogue et des services de prostitution à cette clientèle. La demanderesse a exprimé son refus, elle a été frappée, menacée et a subi des attouchements. À l’arrivée de certains touristes sur la plage, les individus qui l’avaient ainsi traitée se sont enfuis.

[10]     Dès le lendemain, elle s’est présentée pour offrir sa démission. Elle a raison de croire que les agissements des membres de ce cartel étaient connus de la gestion puisque dès son arrivée, les gestionnaires avaient les documents nécessaires pour la congédier.

[11]     Le [XXX] 2017, lorsqu’elle retournait chez elle vers les [XXX], elle a été interceptée dans la rue devant sa résidence. Elle a été enlevée, un mouchoir couvert de produits chimiques a été placé sur son visage, ce qui lui a fait perdre connaissance un certain temps. Lors de cet enlèvement, elle a été violemment rossée, elle a été passée à tabac, elle a été violée et elle a été marquée sur son corps avec des brûlures de cigarette apposées sur ses jambes avec une parfaite symétrie. La demanderesse croit qu’il s’agissait d’une façon de marquer et identifier les femmes qui sont sous l’emprise de ce cartel.

[12]     Elle a ensuite été abandonnée. La demanderesse n’a pas porté plainte auprès des autorités en raison du fait qu’il était bien connu que celles-ci étaient soit complices de ces cartels, ou en avaient peur et refusaient d’agir. Ne voulant pas alerter des policiers complices et par le fait même, s’attirer des ennuis supplémentaires, elle n’a pas été à l’hôpital, elle s’est soignée elle-même comme elle l’a pu.

[13]     Elle a quitté la ville pour aller à [XXX], d’abord chez sa mère et au fil des mois, par la suite, dans son propre appartement. Environ six mois plus tard, elle était prête à tenter de travailler pour y refaire sa vie. Elle a trouvé des emplois dans le domaine immobilier, dans la restauration.

[14]     À la mi-[XXX] 2018, elle a reçu un appel. On lui a dit qu’on l’avait retrouvée et on lui a même précisé ce qu’elle portait ce jour-là. Apeurée, la demanderesse a quitté son emploi, elle a quitté son appartement et elle est retournée chez sa mère. Juste avant son départ du Mexique, elle a pu observer des voitures devant la maison de sa mère. Les occupants de celles-ci semblaient surveiller la maison.

[15]     Elle a quitté son pays le [XXX] 2018, elle est arrivée au Canada le même jour et a demandé l’asile le mois suivant. Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse a su qu’en [XXX] 2018, des gens sont entrés chez sa mère, ils l’ont ligotée et frappée, ils l’ont tenue captive pendant plusieurs heures. Ils ont fouillé la maison et ont insisté pour savoir où se trouve la demanderesse.

ANALYSE

Identité

[16]     L’identité de la demanderesse a été établie par la preuve testimoniale ainsi qu’à l’aide de la preuve documentaire déposée au dossier. Celle-ci inclut des photocopies de passeport émis par les autorités mexicaines, les originaux desquels ont été saisis par les autorités d’immigration canadiennes. Le Tribunal est satisfait de la preuve quant à l’identité de la demanderesse.

Crédibilité

[17]     Le Tribunal se doit de mentionner que l’état de détresse de la demanderesse est visible dans son visage et dans ses gestes. Malgré cela, elle a répondu aux questions de son conseil et du Tribunal de façon directe. Elle a offert des détails lorsque cela fut requis. Son témoignage était souvent émotif.

[18]     Elle a également déposé en preuve des documents pour corroborer les emplois qu’elle a eus. Le Tribunal a également en preuve des photos des marques de brûlures de cigarette sur ses jambes auxquelles elle a fait référence auparavant. De plus, la demanderesse a également offert de nombreux détails qui ont été relatés aux intervenantes dans le domaine psychologique dont les rapports sont en preuve. Enfin, la demanderesse a déposé des lettres de différents témoins pour appuyer sa demande.

[19]     Son témoignage était tout à fait conforme au narratif déposé en annexe, son formulaire Fondements de la demande d’asile, et les faits relatés dans les rapports psychologiques et psychosociaux ainsi que dans les lettres d’appui.

[20]     Le Tribunal croit la demanderesse.

Application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

[21]     Les motifs des agents de persécution sont multiples. D’une part, leur but ultime est de faire de l’argent. Ils ont ciblé la demanderesse, la considérant comme étant une femme attirante qui serait capable d’aller chercher une clientèle importante pour la vente de drogues et de services de prostitution.

[22]     Les agents de persécution sont possiblement motivés par un esprit de vengeance ou la volonté de donner l’exemple à d’autres qui auraient pour idée de refuser de coopérer avec eux, mais essentiellement, lorsqu’une personne est violée, c’est en raison du fait qu’elle appartient au groupe social des femmes, qu’elle est victime. Ainsi, le lien avec la Convention est établi.

[23]     Quant à savoir s’il existe une crainte bien fondée prospective, le Tribunal note que bien que la demanderesse ait quitté son emploi et tenté de refaire sa vie à [XXX] qui, par voiture, se trouve à 24 heures de là où les problèmes ont commencé, ses persécuteurs ont fini par la retrouver environ six mois plus tard. Ils l’ont menacée, ils ont surveillé la maison où elle résidait et ils ont fini par traiter la mère de la demanderesse avec violence dans le but de retrouver la demanderesse.

[24]     Le Tribunal estime qu’il est raisonnable de croire qu’elle encourt plus qu’une simple possibilité de persécution si elle devait retourner dans son pays aujourd’hui. Ainsi, l’article 96 trouve son application.

Protection de l’État

[25]     La demanderesse n’a pas demandé la protection des autorités mexicaines pour se protéger. Néanmoins, elle a établi par la preuve documentaire que les cartels qu’elle craint ont su s’imposer, malgré les mesures de protection de l’appareil étatique. Ils ont su faire régner un niveau de violence endémique, soit en s’assurant la corruption de certains policiers ou encore, en faisant régner la terreur au sein de celles-ci.

[26]     Le Tribunal dispose d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité ou du manque de volonté de ces autorités de protéger ses citoyens contre la violence exercée par ces cartels, tel que le reflète le niveau épouvantable de viols et de violence qui se produisent en toute impunité.

Possibilité de refuge intérieur

[27]     Le Tribunal n’a pas abordé directement la question de la possibilité de refuge intérieur dans les questions posées à la demanderesse. Néanmoins, la preuve révèle que la demanderesse a tenté de refaire sa vie à [XXX], à plus de 24 heures de route, si on se déplace en voiture. La demanderesse a été retrouvée et menacée à cet endroit, peu après avoir repris le travail.

[28]     Cela porte à croire que ces cartels bénéficient de la complicité de gens dans l’appareil étatique qui ont accès aux banques de données des travailleurs. Quoi qu’il en soit, ils ont réussi à a trouver et n’ont pas hésité à la menacer et même, à faire violence à sa mère pour essayer de la retrouver.

[29]     Le Tribunal estime que la demanderesse a établi qu’il n’existe aucun endroit où elle pourrait vivre normalement, en toute sécurité au Mexique. Dans de telles circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner le deuxième volet de la possibilité de refuge intérieur.

CONCLUSION

[30]     Après examen de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que Madame [XXX] a qualité de réfugiée au sens de la Convention et par conséquent, accueille sa demande d’asile.